J.N. Jeanneney: Le duel. Une passion française (1789–1914)

Titel
Le duel. Une passion française (1789–1914).


Autor(en)
Jeanneney, Jean-Noël
Erschienen
Paris 2004: Editions du Seuil
Anzahl Seiten
230 p.
Preis
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Ami-Jacques Rapin

Deux interrogations structurent l’ouvrage de Jean-Noël Jeanneney. Pourquoi la pratique du duel s’est-elle maintenue et même développée dans la société française du XIXe siècle? Pourquoi a-t-elle subitement disparu après la Grande Guerre? Les réponses de l’auteur s’articulent autour de l’idée de résistance symbolique. C’est le besoin de résister au mouvement du siècle qui pousse les bretteurs sur le pré: «Tout le monde en effet ressentait, plus ou moins consciemment, depuis la Révolution, le décalage entre le poids grandissant de l’économie matérielle et l’aspiration personnelle à n’être pas écrasée par elle. Et ici se retrouvent, rassemblées en faisceau, éclairées par l’issue, toutes les forces qu’on a vues perpétuer le duel, en dépit des sursauts de l’ironie et des vains efforts des juges: refus du règne exclusif du progrès scientifique et des rationalités de l’industrie, méfiance envers l’emprise d’un Etat centralisé, désir, chez les nouveaux venus, de bousculer les hiérarchies installées, angoisse de la fierté individuelle devant la montée des masses.» C’est l’hécatombe de 1914–1918 qui retire toute dignité à la pratique: «Aux yeux de tous, la camarade avait assez joué de sa faux pour qu’on lui refuse au moins la satisfaction de prolonger son oeuvre, même de façon infinitésimale.» Bien que les arguments qui précèdent donnent leur titre à différents chapitres de l’ouvrage (Le romantisme contre la science, Le citoyen contre l’Etat, Bousculer les hiérarchies, L’individu contre la foule), ils n’y sont pas véritablement développés dans le cadre d’une démonstration de leur pertinence sociologique. Le choix de l’auteur consiste plutôt à appuyer son propos sur une narration, savoureuse, de rencontres qui mettent aux prises des figures, plus ou moins connues, de la période. Tout le plaisir du lecteur résulte de ces évocations successives: Armand Carrel contre Emile de Girardin, Arthur Meyer contre Edouard Drumont, Georges Clemenceau contre Paul Déroulède, Jean Jaurès contre le même Déroulède ou encore Léon Blum contre Pierre Veber. Plaisir régulièrement augmenté par des anecdotes étonnantes – ces deux anonymes s’affrontant dans des aérostats, dont l’un est percé d’une balle et qui dans sa chute entraîne la mort du duelliste et de ses témoins – ou hilarantes – Alphonse Allais provoquant des passants inconnus en leur remettant les cartes de visite d’hommes célèbres qui ne tardent pas à recevoir les témoins de l’offensé. Dans d’autres chapitres, l’auteur analyse les rapports qu’entretient le duel avec la Justice et l’Etat. Là encore il touche juste, en particulier lorsqu’il traite des accommodements de la Justice envers un code d’honneur qui est hors la loi. Citons deux exemples. Celui du publiciste Anatole Prévost-Paradol qui considère que si le «point d’honneur» est extérieur aux lois, il contribue néanmoins à leur respect en garantissant l’ordre de la société. Celui de deux des juges du procès d’Henriette Caillaux qui, à la suite d’un différend sur le traitement réservé à l’accusée, sont prêts à se rendre sur le pré; l’affaire est d’autant plus significative que l’un des juges, président de la cour d’assise de Paris, invite dans son cabinet l’auteur d’un ouvrage intitulé Les Lois du duel afin de le consulter sur la légitimité de la rencontre. Le procédé argumentatif de Jean-Noël Jeanneney rencontre cependant ses limites. Ainsi, le chapitre II, Le romantisme contre la science, sollicite fortement la coopération du lecteur auquel est laissé le soin de jeter les passerelles reliant l’argument annoncé dans l’intitulé aux exemples de duels qui illustrent le propos. Plus généralement, l’ouvrage ne propose pas une analyse du rituel qui préside à la rencontre des duellistes ou plus précisément dilue les éléments de cette analyse au fil des pages. A cet égard, le traitement réservé à la codification de la pratique peut apparaître trop sommaire, et il est quelque peu frustrant que l’Essai sur le duel du comte de Chatauvillard ne soit abordé que dans quelques-uns de ses articles anecdotiques. Bref, si l’étude de Jean-Noël Jeanneney est à classer dans les importantes contributions à l’histoire du duel, elle n’en épuise pas toute la richesse.

Zitierweise:
Ami-Jacques Rapin: Rezension zu: Jean-Noël Jeanneney: Le duel. Une passion française (1789–1914), Paris, Le Seuil, 2004. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte, Nr. 55, 2005, S. 125-126.

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